Quelles conditions doit-on mettre en place pour véritablement stimuler l’innovation? La question est cruciale pour toute entreprise qui veut demeurer concurrentielle. Et d’un point individuel, rien n’égale l’exaltation qu’une personne ressent quand son équipe parvient à un tel résultat. À Ubisoft, nous ne manquons pas une occasion de développer notre culture de l’innovation. Nous devons savoir reconnaître une bonne idée et trouver des façons de la faire valoir à l’équipe multidisciplinaire pour continuer de surprendre nos joueurs·euses et maintenir leur niveau d’intérêt.
Selon Bruno Lalonde, directeur technique principal de Rainbow Six Extraction, le travail réalisé par son équipe pour améliorer le sprawl, dans Extraction, illustre parfaitement ce propos. Aux prises avec un problème imprévu, l’équipe a non seulement trouvé une solution, mais elle a fait de cette solution l’élément fondamental du jeu.
Dans R6 Extraction – un jeu coopératif dans lequel une équipe de trois personnes doit affronter une menace extraterrestre – une forme de vie extraterrestre apparaît sur Terre. Il s’agit du sprawl, une entité semi-liquide géante qui recouvre ce qui l’entoure. Le sprawl (surnommé affectueusement la goo pendant la phase de développement) transforme donc les endroits familiers en quelque chose de mystérieux et menaçant.
La façon dont cette chose provenant d’un autre monde plongeait l’utilisateur·trice du jeu dans une atmosphère unique a plu à tout le monde dès le départ. Inquiétante et omniprésente, la goo était l’élément visuel central du monde que l’équipe s’employait à créer.
Quand une force impossible à arrêter se heurte à un rocher impossible à déplacer : transformer un problème en possibilité
À un moment où la vision artistique pour le sprawl devenait de plus en plus concrète, l’équipe de développement s’est retrouvée devant un dilemme.
Rappelons que la destruction est l’un des piliers fondamentaux de la franchise Rainbow Six. Comme les joueurs·euses peuvent transformer substantiellement l’environnement, la carte change. Provoquer une explosion pour faire un trou dans un mur ou dans le plancher est un élément fondamental du jeu. Dans Rainbow Six, on règle ses problèmes avec des explosifs.
Mais voilà, quand les joueurs·euses détruisaient l’environnement, le sprawl ne s’adaptait pas parce que c’était un élément visuel qui ne pouvait pas être détruit. Alors, plus l’équipe voulait se servir du sprawl, moins les joueurs·euses pouvaient interagir avec le monde. À l’inverse, plus ils voulaient être libres de modifier le monde, moins le sprawl pouvait-il être utilisé.
Et les joueurs·euses veulent, bien sûr, faire exploser les choses. Mais le sprawl était en voie de devenir la signature artistique d’Extraction.
S’il était impossible de faire coexister ces deux idées de base, il était en même temps hors de question d’en sacrifier une des deux.
Placer la barre haut
L’équipe d’Extraction ne se contente pas de peu. Insatisfaite, elle était déterminée à trouver une nouvelle idée. Elle voulait donner au jeu ses propres éléments uniques et fondamentaux.
« Les membres de l’équipe sont là parce qu’ils sont profondément motivés par la volonté de se dépasser », explique Lalonde. « Ils doivent être capables de mettre de côté un instant l’échéancier et le document de travail parce qu’ils ont besoin d’explorer une idée. Et vous, comme chef d’équipe, vous devez leur donner la latitude nécessaire. »
L’équipe de Rainbow Six a jonglé avec le problème du sprawl jusqu’à ce qu’elle décide de le bonifier un peu. Pourquoi ne pas convertir cet élément visuel vraiment génial en un élément de l’environnement? Parviendrait-elle à transformer le sprawl en objet pouvant être détruit par les joueurs·euses? Par ailleurs, cette solution permettrait aussi de mettre fin au débat sur l’endroit où il fallait manuellement ajouter le sprawl.
Du point de vue du jeu, c’est du jamais vu, poursuit Lalonde.
L’équipe responsable de la conception savait que l’équipe technique avait les compétences pour faire le changement, que l’équipe artistique produirait un visuel intéressant et que l’équipe narrative saurait intégrer la modification dans l’histoire. La confiance était au rendez-vous. L’équipe technique a donc rapidement modifié le sprawl pour en faire un objet qui pouvait être détruit comme les autres éléments de l’environnement. Envie de détruire ce mur couvert de goo? Pas de problème. Allez-y, et le sprawl battra en retrait. Bravo! Vous avez réussi! Et voilà! Vous pouvez maintenant étendre le sprawl partout.
Réagir… vite
Ensuite, une tout autre possibilité a surgi. Le code permettant la destruction du sprawl en cours de partie pouvait être exécuté à l’envers et donnait alors aux joueurs·euses la liberté de la faire apparaître. Il était donc possible d’en faire un élément dynamique.
Le sprawl, dans sa nouvelle version, allait pouvoir prendre de l’expansion, être comprimé et s’adapter aux actions des joueurs·euses. Grâce à ce formidable changement, une multitude d’options s’offraient à nous.
Nous avons eu une révélation », dit Lalonde. « Une fonctionnalité de jeu vidéo a le plus de valeur pour les joueurs·euses lorsqu’elle est issue d’une idée 360. Et nous avions entre les mains une idée qui allait nous permettre d’atteindre un tout autre niveau de jeu. »
Une idée 360, c’est une idée qui améliore tous les aspects d’un jeu : le fil narratif, la conception artistique, le déroulement du jeu, et plus encore. Le sprawl dynamique correspondait tout à coup à une idée 360, née de nos tentatives de résolution de problème. Tout le monde avait envie d’explorer cette nouvelle avenue, mais l’équipe devait agir vite pour « dérisquer » l’idée.
« Le succès d’un prototype dans l’univers du jeu vidéo est proportionnel à la capacité d’une équipe à faire de l’itération », explique Lalonde. « Le plus rapidement vous testez un produit, plus vite vous savez ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Voilà comment on élimine les risques associés à un projet. Pour assurer la réussite d’un projet, mettez cartes sur table : communiquez l’information, expliquez vos découvertes. »
Le sprawl est passé d’élément esthétique à une forme extraterrestre nerveuse qui détecte les joueurs·euses et prévient les envahisseurs du danger qui plane. Il fait désormais partie des éléments tactiques du jeu, prenant de l’ampleur ou diminuant de volume en fonction des actions et des choix des joueurs·euses. Il est au cœur même de Rainbow Six Extraction.
La liberté d’explorer
Quand on a peur de prendre des risques, on ne sort pas des sentiers battus. Mais pour quiconque veut innover, ce n’est pas la voie à suivre.
Mon équipe a droit à l’erreur », dit Lalonde. « Nous voulons que les gens réussissent. Nous voulons qu’ils puissent travailler sans sentir qu’ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête. »
Les idées ne fonctionneront pas toutes. Et plus la proposition est audacieuse, plus le risque qu’elle échoue est élevé. Mais offrir à quelqu’un la possibilité de se tromper, c’est lui donner aussi la possibilité de réaliser une avancée. Pour avoir une chance de trouver de nouvelles avenues qui valent la peine d’être explorées, les équipes doivent accepter le risque d’aboutir dans un cul-de-sac.
Pour repousser les limites du sprawl, il a fallu adapter la conception technique de ce jeu multiplateforme en fonction des différentes ressources matérielles de chaque plateforme, intégrer les éléments narratifs et produire un visuel intéressant. Chacune des pièces du casse-tête devait s’emboîter correctement.
Ces gens sont des experts de la technologie. Ils veulent toujours aller plus loin », affirme Lalonde. « Ils sont prêts à s’éloigner considérablement du script, mais ils sont aussi capables d’admettre que quelque chose n’a pas fonctionné. »
Lorsque les cibles faciles de votre moteur de jeu ont toutes été utilisées dans les jeux, il faut vous entourer de gens qui ont soif de nouveauté et qui sauront saisir les occasions de rebrasser les cartes afin de créer de nouvelles fonctionnalités. Dans le cas du nouveau sprawl, la solution à un problème de jeu a donné lieu à l’une des plus grandes idées jamais proposées.